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La vérité vérité ou fabriquée ? Pourquoi tous les acteurs de l’IA veulent construire leurs propres puces ? Les robots humanoïdes en Chine Le syndrome Nokia est de retour

Métamorphoses
16 min ⋅ 23/09/2025

Bonjour à toutes et tous,

Dans cette newsletter, vous trouverez deux articles certes longs mais avec l’intention de mettre en perspective nos futurs :

  • La vérité vérité ou fabriquée ?

  • Pourquoi tous les acteurs de l’IA veulent construire leurs propres puces ?

  • Les robots humanoïdes en Chine

  • Le syndrome Nokia est de retour

Bonne lecture.

Stéphane


La vérité vérité ou fabriquée ?

Discussion audio sur la base de cet article réalisée avec NotebookLM

La vérité se faufile, dans les câbles, se colle à nos traces numériques et finalement se dilue dans des océans de textes et d’images que des modèles avalent sans hoqueter. Chaque clic jette une poignée de sable neuf dans l’immense sablier des données. Et demain, quand une intelligence artificielle récitera l’histoire d’un peuple, d’une ville, de votre famille, elle plongera dans ce que nous avons laissé en pâture numériquement et non dans une archive poussiéreuse. Alors, qu’est ce que la vérité quand l’histoire se réécrit avec les données que nous donnons aux IA. Une simple moyenne ? Un reflet ? Une ombre projetée par une lumière biaisée ? C’est selon moi un champ de forces. Un espace où s’affrontent trois puissances : le réel vécu, les traces que nous produisons et les modèles qui apprennent à partir de ces traces. L’équilibre est instable et se renégocie sans cesse.

Le premier glissement saute aux yeux. La réalité se découpe à la carte. Mon fil, ton fil. Mon monde, le tien. Les systèmes de recommandation ne livrent pas de vérité unique. Ils livrent des versions compatibles avec nos habitudes. On appelle cela des bulles de filtrage. Rien de neuf pour les chercheurs. Terriblement neuf pour nos conversations de comptoir. Quand deux citoyens regardent la même élection, ils ne voient pas la même histoire. L’un reçoit surtout des sources conservatrices. L’autre surtout des sources progressistes. Le récit collectif se fendille. L’algorithme ne fabrique pas la division tout seul mais la renforce, ce qui suffit in fine à modifier la scène. Cette mécanique a été observée et discutée de multiples fois lors des dernières élections dans le monde entier. Dans le même esprit, la réponse à une même recherche varie selon le lieu, l’historique, l’écosystème relationnel, ... Deux personnes tapent la même requête et reçoivent deux visions qui ne coïncident pas. Le moteur considère cela comme de la pertinence. Le citoyen y lit la preuve que la réalité se fragmente.

Deuxième glissement. Nous avons pris goût au chiffre qui tranche. Mesurer rassure. Mesurer gouverne. Mesurer donne l’illusion d’un pilotage au cordeau. Sauf que la mesure n’est pas la chose. Elle la remplace. Elle la déforme dès qu’elle devient enjeu. L’axiome est connu des économistes et des data scientists : quand un indicateur prend trop d’importance, il cesse d’informer correctement. Il contamine le réel. On le voit tous les jours dans les systèmes pilotés par objectifs numériques. Un modèle maximisera la métrique qui le nourrit sans se soucier de la justice du monde. C’est écrit noir sur blanc par ceux qui militent pour une culture de la mesure lucide. Notre vérité devient celle de l’indicateur.

Troisième glissement. Transparence ne rime pas forcément avec responsabilité. Ouvrir un peu le capot des modèles calme les esprits un moment. Puis on finit par réaliser que le code ne raconte pas tout. Les données et les critères d’évaluation comptent autant et la gouvernance encore plus. Un système peut rendre ses entrailles consultables et pourtant rester insaisissable pour le public. L’exigence utile porte ailleurs. Qui décide ? Avec quelles justifications ? Quels recours existent pour contester une décision automatique qui touche une vie ? Des chercheurs et praticiens ont posé des balises simples à mémoriser : Responsabilité, Explicabilité, Exactitude, Auditabilité et Justiciabilité. Un quintette de bon sens pour que l’algorithme rende des comptes. Autrement dit, la vérité sociale ne naît pas d’un fichier ouvert. Elle naît d’un dispositif capable de répondre et de réparer.

Ne lâchons pas la proie pour l’ombre. Ces systèmes apportent en rangeant l’immense et en accélérant le jugement quand l’humain piétine. Ils détectent des structures invisibles à l’œil nu. Ils aident un médecin, un urbaniste qui veut désengorger un carrefour, ... Mais ils ne sortent pas de nulle part. Ils apprennent avec nos traces. Ils se calent sur nos précédents qui pourtant ne sont pas propres. Nos archives ne sont pas innocentes. Une IA qui porte un savoir bâti sur des données incomplètes reproduit ce manque. Une IA entraînée sur des corpus saturés par certaines voix consolide ces voix et oublie le reste.

Un petit musée local numérise un fond de photos. Les dates sont connues. Les visages parfois. Le reste manque. Le comité souhaite des cartels plus vivants. Il branche un générateur de descriptions. Le résultat marche bien sur les années 60 du fait de nombreux contenus disponibles. Le texte tient la route. Sur les années 30, c’est autre chose. Du fait du peu de sources, le modèle plaque des stéréotypes. Il confond une procession religieuse avec une manifestation. Il invente des couleurs. Personne ne s’en aperçoit immédiatement. Un blog reprend le cartel. Puis un autre. En deux ans, le malentendu gagne le statut de fait. Qui rectifie ? Qui prend le temps de le faire ? Rien de dramatique à l’échelle du pays. Terriblement parlant pour la question posée. La vérité se tord au point de l’archive numérique disponible.

Une plateforme de généalogie intègre des biographies automatiques. Le modèle adore les journaux numérisés. Il sait repérer les patronymes. Il sait remonter les adresses. Il sait déduire des métiers. Sauf que les femmes n’apparaissent pas toujours dans les mêmes registres. Le silence des sources devient silence biographique. La lignée des mères se dissout. Un enfant qui lit ces notices reçoit une histoire trouée. La machine ne ment pas. Elle reflète. Et ce reflet pèse.

On pourrait objecter. Les IA hybrides ouvrent des pistes pour ménager une lisibilité nouvelle. Des approches qui combinent apprentissage statistique et règles explicites rendent les raisonnements plus tracés. Elles ont besoin de moins de données. Elles s’expliquent mieux certes mais ne résolvent pas tout car qui écrit les règles, quel cadre collectif valide le contrat moral du modèle. La Transparence ne suffit pas. Le système doit rendre des comptes au-delà du code. Nous voici face à un choix de société. Viser une vérité unique imposée par une machine ou assumer une vérité négociée, plurielle et discutable. Je n’ai aucune envie d’une machine qui tranche en majesté. Je préfère une scène publique équipée. Des modèles qui proposent des reconstructions en exposant les indices. Des interfaces qui laissent revenir aux sources. Et, surtout, des garde fous pour éviter la discrimination et l’arbitraire. Des principes au quotidien. Attribution claire de la responsabilité. Explications digestes pour les personnes concernées. Mesure et documentation des erreurs. Droit d’audit par des tiers. Évaluation des effets discriminatoires. Cette grammaire simple change le paysage. Elle redonne au citoyen un pouvoir.

Voici trois pratiques concrètes pour rendre nos IA plus justes avec l’histoire :

  • Documenter la mesure. On s’extasie devant les palmarès et les scores. On s’attache aux pourcentages or la vérité de l’histoire n’a rien d’un concours de beauté. Si un musée évalue ses expositions à l’aune des clics sur Instagram, il fabrique un récit orienté par le photo gène. Si une municipalité classe ses quartiers à partir d’une statistique de nuisances, elle finit par déplacer les problèmes vers ceux qui parlent le moins. Le jour où l’indicateur devient l’enjeu et cesse de bien mesurer. La littérature technique le radote.

  • Afficher l’ombre. Chaque modèle qui raconte un passé devrait indiquer ce qui lui manque. Comme une carte marine qui signale les hauts fonds. Ici peu de données. Ici des sources redondantes. Là des récits contradictoires. Pas besoin de grandiloquence. Une jauge suffit. Un panneau simple en haut de la page. Une phrase claire dans l’audio guide. On évite l’illusion d’exhaustivité. On invite le visiteur à la prudence. On lui ouvre même la porte pour enrichir la carte.

  • Chercher la dissidence. Rien n’ouvre l’esprit comme une contradiction formulée avec élégance. Les plateformes savent varier les contenus. Elles savent aussi mettre en avant des visions différentes sans faire hurler l’utilisateur. Il suffit d’un réglage. D’une petite dose de curiosité imposée. D’un droit à la surprise. Oui, c’est un prêche contre la paresse algorithmique. Une application d’actualité qui introduit un regard minoritaire au milieu de mon fil m’aide davantage qu’une enfilade homogène. Le but n’est pas d’irriter mais de casser l’aquarium. Tout ceci ne concerne pas la tentative de régression scientifique en cours qui conduit à l’obscurantisme.

Voilà pour le cadre. Revenons aux données, qui sont les briques du récit. Qui les choisit et qui les délaisse ? Là se joue la moitié de la réponse. Les archives publiques progressent mais les corpus privés dominent l’entraînement des grands modèles. L’agenda des marques déborde les agendas des bibliothèques. Des auteurs l’ont écrit avec netteté. Dans un monde piloté par la donnée, la tentation de confondre pertinence immédiate et vérité durable devient la norme. La production de contenus au plus près de nos appétences déforme la carte mentale au point de rendre la réalité elle-même relative, fractionnée et mouvante. Autorisons-nous une métaphore. Les modèles sont des vignerons pressés. Ils récoltent tout ce qui pend. Ils fermentent le jus. Ils sortent des cuvées acceptables dès la première saison. Nous, nous rêvons d’un grand cru. Il faudrait du temps. Il faudrait des assemblages délicats. Il faudrait un sol varié. Il faudrait des vendanges manuelles. Tout l’inverse de l’extraction automatique. Résultat ? Des vins corrects pour le quotidien. Peu de millésimes sont capables de traverser un siècle.

Que faire demain matin sans se prendre pour Prométhée ?

Chez soi. Tenir un carnet de sources quand on consulte des IA : note brève, origine probable, date approximative, lacunes manifestes, ... Ce petit geste muscle l’esprit critique. Poursuivre par un rituel tout bête. Lorsque la machine répond avec aplomb, demander une version alternative. Le simple fait de lire deux reconstructions de la même scène met de l’air. Enfin, partager les désaccords en famille. Au dîner, je raconte ce que la machine m’a appris sur mon quartier. Ma fille rectifie. Elle a vu autre chose. On s’écoute. On enrichit. On rit. On tient la barre.

Dans les institutions. Multiplier les contre archives. Ce que j’appelle des poches de mémoire qui réunissent des voix minorées. Les associer explicitement aux grands projets d’entraînement. Noter l’effort dans les documents publics. Ce n’est pas du vernis. C’est une politique. Demander ensuite aux équipes produit de construire des indicateurs d’équité pour éclairer et non punir. Où l’algorithme ignore-t-il les témoignages féminins ? Où écrase-t-il les régions rurales ? Où gomme-t-il les langues minoritaires ? On corrige. On annonce la correction. Enfin, imposer des voies de recours. Un cartel automatique vous paraît faux. Vous signalez. Un comité répond et corrige si besoin. Des principes déjà décrits existent pour cadrer cette responsabilité partagée et donner un droit de contestation réel.

Certains me diront que c’est idéaliste, qu’un futur plus transparent arrivera avec des modèles lisibles par nature, qu’une IA hybride rendra ses pas visibles sans douleur. Espérons le. Les travaux en ce sens progressent mais gardons une méfiance joyeuse. Une société ne doit pas s’en remettre à la seule technique pour arbitrer ce qui compte. Il faut des règles, des habitudes, des lieux où l’on discute du sens de la mesure et pas seulement de sa précision. L’enjeu dépasse nos lectures du soir. Il touche la formation des jeunes. Le rapport au passé dans les écoles. Le geste même d’écrire. Quand un élève demande à une IA de résumer Zola, il ne reçoit pas le même texte que son voisin. Dans la classe, la discussion change de nature. On ne débat plus d’un même paragraphe. On compare des synthèses différentes. Cet éparpillement peut tourner au chaos. Il peut aussi devenir une chance. On apprend à repérer les traces. On apprend à reconstituer la carte. On apprend que la vérité se cherche en bande.

Nous avons tendance à confondre vérité et performance. Une réponse qui arrive vite. Une réponse qui semble convenable. Une réponse qui plaît à notre œil. Toutes ces qualités flattent. Elles cachent la pauvreté de la source. La paresse s’installe. La vérité s’éloigne sans bruit. Un antidote existe. Cultiver un goût artisanal pour les preuves. Revenir aux documents quand un enjeu fort se présente. Exiger des liens vers les sources quand un service public communique à l’aide de contenus générés. Et oui, accepter parfois de vivre avec le doute. Les entreprises aussi racontent des histoires avec les données. Elles fantasment un monde piloté par la demande où chaque personne reçoit un message taillé pour elle. La réalité dit autre chose. Une avalanche de décisions automatiques. Un tri plus fin que par le passé. Un risque de cannibalisation quand le prix bouge trop vite. Une tentation de tout mesurer, partout, tout le temps. Les acteurs sérieux martèlent la même idée. La mesure doit être débattue et partagée. L’individualisation n’a de sens que si elle s’accompagne d’un vrai respect du consentement et d’un droit d’explication. Sinon, l’outil se retourne contre l’intention initiale.

Écrire sur la vérité à l’ère des IA oblige à prendre parti. Je le prends. Je ne cherche pas un temple pour une vérité unique. Je veux des ateliers vivants où citoyens, chercheurs, développeurs, archivistes, décideurs apprennent à se passer la main. La machine propose. Le citoyen dispose. L’institution répond. Le modèle apprend sans s’ériger en oracle. Le lendemain, on recommence et la vérité s’en trouve peut être moins spectaculaire mais elle gagne en tenue et voyage mieux.

Prenons une image qui me plaît depuis des années. Un grand aquarium lumineux. Des poissons minuscules par milliers qui brillent selon la lumière et l’angle. L’eau bouge au moindre mouvement de foule. La vérité dans nos systèmes ressemble à cet aquarium. elle n’est pas statique. Elle a tout d’un miroitement collectif. La qualité de l’eau dépend des tuyaux, des filtres, des mains qui nettoient et de notre patience à lire sous la surface. Le jour où l’on cessera de croire que la vitre fait le monde, nous avancerons à pas sûrs sans nous raconter d’histoires.

Tout récit automatique mérite ses notes de bas de page. Les plateformes devraient afficher les limites de leur mémoire et les zones d’ombre de leurs corpus. Les écoles devraient enseigner le contre récit à côté du récit. Les élus devraient porter des politiques d’audit public. Nos désaccords se civilisent et la vérité, loin de se dissoudre, trouve une place plus solide dans nos usages. Rien de cela ne réclame une révolution mystique. Il suffit d’un pacte. On confie la vitesse à la machine. On garde la délibération pour la société et on se dote de garde-fous très concrets. Ceux qui ont été proposés, discutés, enrichis par des chercheurs et des praticiens, donnent un terrain commun pour répondre quand les IA touchent nos vies.

La vérité mérite un soin patient. Elle n’a pas peur de l’outil. Elle réclame une écologie et nous tenons les clés de cette dernière, puisque nous alimentons ces systèmes. À nous de nourrir la machine avec des archives plus diverses. À nous d’exiger des explications. À nous d’ouvrir des voies de recours accessibles. À nous de cultiver le goût du contrepoint. Nous ne sommes pas condamnés à subir. Les nouveaux récits peuvent sortir plus riches que les anciens si l’on accepte de faire entrer d’autres voix, d’autres rythmes, d’autres mémoires., … La vérité n’est pas un écran figé. C’est une régate. Elle avance si nous réglons les voiles. Elle cale si nous rendons tout aux automatismes. À nous de tenir la barre et de garder l’enthousiasme pour ce petit vent de face qui oblige à mieux piloter.

Une nouvelle étude affirme que les chatbots trébuchent plus qu’hier et même si la vérité se cache ailleurs, le signal donne à réfléchir. NewsGuard, entreprise américaine qui traque la désinformation, a soumis aux assistants une série de dix allégations clairement fausses issues de son propre catalogue et propagées par un réseau d’environ cent cinquante sites pro Kremlin établis à Moscou. Les bots devaient d’abord fouiller le web, détail décisif, puis répondre. Le verdict ne fait pas sourire. Validation des intox dans dix pour cent des cas pour Claude et jusqu’à quarante six pour cent pour Perplexity avec son modèle « Sonar ». Les scores dépassent ceux de l’an passé, la reprise mot à mot de fausses infos grimpe en moyenne de dix huit à trente cinq. Les systèmes sont poussés à répondre coûte que coûte, quitte à avaliser des bêtises. Le hic n’a rien d’une hallucination où le modèle invente depuis sa mémoire interne mais vient de l’information disponible et les Russes l’ont parfaitement compris. Pollution d’informations, influence organisée, tri difficile lorsque les moteurs mettent ces pages en avant.


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Pourquoi tous les acteurs de l’IA veulent construire leurs propres puces ?

Discussion audio sur la base de cet article réalisée avec NotebookLM

OpenAI vise sa première puce maison dès 2026. L’info est sortie le 5 septembre dans le Financial Times. Le signal est clair. La jeune pousse de l’IA s’attaque au cœur de la machine en dessinant un processeur chargé d’avaler une partie des calculs titanesques nécessaires à ChatGPT et aux modèles qui suivront. Quarante personnes sur le pont et un allié industriel déjà trouvé avec Broadcom (résultat immédiat en Bourse pour ce dernier avec un bond d’environ 9 %). Pourquoi un éditeur se frotte aux semi-conducteurs. Rien d’isolé ici. Google, Amazon, Meta et Microsoft conçoivent tous leurs propres puces pour arrêter l’hémorragie côté achats chez Nvidia.

Nvidia règne toujours sur les GPU : marges brutes au-delà de 70 %, valorisation passée pendant l’été à plus de 4 000 milliards de dollars et des clients géants. Goldman Sachs a fait ses comptes en juillet. Sur les 350 milliards que Google, Amazon, Meta, Microsoft et Oracle prévoient en 2025pour l’achat de puces, Nvidia pèserait à lui seul environ 28 %. D’où l’idée des ASIC maison dédiés à des usages précis avec des partenaires comme Broadcom, MediaTek ou Marvell pour tenter de tenir la cadence.

Chez Amazon ce n’est plus un essai. Graviton est leur puce pour les serveurs généralistes, Inferentia pour faire tourner les modèles et Trainium pour l’entraînement. Le groupe vante un rapport prix performance supérieur de 30 à 40 % et cite SAP, Databricks, Poolside ou Anthropic parmi les clients. Ils ont aussi annoncé fin 2024 le Projet Ranier à savoir un site de calcul géant équipé de centaines de milliers de Trainium 2 pour 8 milliards de dollars.

Google reste l’autre pionnier. Sa septième génération de TPU a été dévoilée au printemps. Ces puces font tourner Gemini 2.5 et l’outil de biologie derrière AlphaFold distingué lors du prix Nobel. Elles sont aussi proposées aux clients cloud. Anthropic, Midjourney, Hugging Face et Mistral AI s’en servent.

Meta avance plus prudemment. Sa première puce d’entraînement est en test et devrait être opérationnelle en 2026. Ses MTIA existent déjà mais restent cantonnées à l’inférence pour des tâches maison comme le classement des contenus sur Facebook et Instagram. Lancer une puce ne se résume pas à graver du silicium. Il faut un écosystème logiciel des équipes, une chaîne d’approvisionnement en mémoire HBM et des data centers spécifiques.

Tout n’est pas fluide chez les géants. Reuters a évoqué des projets stoppés chez Meta après des tests décevants. The Information a rapporté un décalage chez Microsoft avec un nouveau processeur désormais attendu en 2026. La communication officielle de ce dernier se résume à une “confiance dans la trajectoire” et qu’il s’agit d’un “projet multigénérationnel”. En attendant, les puces Maia lancées en 2023 servent déjà certaines requêtes d’OpenAI et de Copilot.

Nvidia ne tremble pas. Jensen Huang a lâché à Paris une petite pique. Pourquoi fabriquer une puce spécialisée si elle n’est pas meilleure que celle que vous pouvez acheter. Les analystes abondent. Les GPU haut de gamme gardent une avance technique et bénéficient d’un écosystème complet. Les clouds restent à la fois partenaires et clients.

Peut-on détrôner Nvidia ? Les ASIC maison auraient déjà croqué environ 20 % d’un marché encore en hyper croissance soit près de 40 milliards sur 200. En 2029 cette part pourrait grimper vers 30 % ou un peu au-delà selon certains spécialistes. En remontant vers le silicium les géants de l’IA et du cloud ajoutent un maillon à leur contrôle de la chaîne de valeur. Après les modèles, les interfaces grand public, les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, les plateformes cloud, les data centers, les câbles sous-marins, ils prennent aussi la main sur un composant devenu stratégique. Le contexte géopolitique le rappelle à intervalles réguliers : la restriction des exportations de puces est devenue un levier de négociation. Quand Washington bloque certains GPU pour la Chine ou agite la menace vers d’autres régions l’industrie entière tousse

L’option puce maison n’est pas un caprice de milliardaires. C’est une assurance vie et une manière de fixer le tempo. Sur un entraînement massif l’électricité, la mémoire et la circulation des données pèsent autant que la puissance brute. Un ASIC bien ciblé plus une bonne pile logicielle peut lisser les goulots d’étranglement. We own the stack devient la devise officieuse. Les clouds ne couperont pas le cordon avec Nvidia. car il y a trop de talents, d’outils et de performances au mètre carré. En revanche, ils veulent des alternatives crédibles pour négocier afin de sécuriser leur feuille de route et pour coller à leurs cas d’usage. La bataille ne se joue sur la fluidité du tout (du compilateur au rack et de l’énergie à l’orchestration) et non seulement sur la meilleure puce. C’est certes moins glamour qu’une keynote mais c’est là que se fait la différence.


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Les robots humanoïdes en Chine

Discussion audio sur la base de cet article réalisée avec NotebookLM

Pékin a mis la gomme. Du 8 au 17 août, la ville s’est transformée en capitale mondiale des robots avec pour commencer des conférences et un salon avant de continuer par des “jeux Olympiques”. Dix jours pleins. Ambiance mêlant foire d’État et cour de récré. Dans un même couloir du salon, un humanoïde tire au but, deux autres se mettent des droites, un manageur de danseurs lance une démonstration avec des machines au torse luisant, ... Plus loin, LimX exhibe Tron 1, un petit marcheur façon poulet métallique de space opera. On lui donne un coup de pied, il se redresse.

La Chine veut montrer qu’elle a changé de braquet. Les bras industriels se comptent par centaines de milliers, les humanoïdes se multiplient et évidemment l’IA s’invite partout. Objectif clair : être le leader d’un marché estimé à 5 000 milliards de dollars vers 2050. Un chiffre qui donne le tournis. Pour se faire une idée, c’est environ deux fois le PIB de la France aujourd’hui. Les jalons existent déjà. En 2024, la Chine a déposé près de deux demandes de brevet sur trois dans la robotique à l’échelle mondiale. Elle a aussi décroché la place de premier producteur de robots industriels et, surtout, celle de premier acheteur avec 54 % des installations annuelles. Plus d’un robot sur deux finit donc dans une usine chinoise. Le marché des bras robotisés pèse environ 20 milliards de dollars aujourd’hui et estimé au-delà de 50 milliards d’ici 2032. Ce n’est pas une lubie. Il s’agit d’une chaîne logistique pensée pour dominer ce marché de bout en bout. Les fabricants locaux sortent des humanoïdes et des quadrupèdes jusqu’à dix fois moins chers que leurs rivaux américains ou japonais. À la conférence de cette année, on a compté plus d’une centaine de modèles humanoïdes contre vingt-sept l’année précédente soit une multiplication par en douze mois.

La banque Morgan Stanley que d’ici 2050 plus d’un milliard d’humanoïdes seront mis en service dont neuf sur dix occupés à des tâches simples et répétitives. La Chine aurait la plus grosse flotte avec environ 300 millions d’unités contre 77 millions pour les États-Unis. Pour évaluer ces ordres de grandeur, imaginez un humanoïde pour quatre habitants en Chine urbaine ...

Les entreprises se bousculent sur la ligne de départ. EngineAI à Pékin, AgiBot à Shanghai, LimX et Leju à Shenzhen, Deep Robotics et Unitree à Hangzhou. Unitree, avait une valorisation de 1,4 milliard d’euros cet été pour un chiffre d’affaires à 120 millions en 2024. Leur dernier humanoïde mesure 1,21 m, exécute vingt-six mouvements distincts et coûte 4 800 euros. Leur chien robot d’entrée de gamme est à 1 500 euros et le haut de gamme flirte avec les 100 000 euros mais aller dans la fumée, tirer un tuyau de pompier, cartographier une usine chimique en 3D et traquer la moindre molécule toxique. Dans des parcs en Chine, on en voit déjà ramasser des canettes avec un bras sur le dos. Moins photogéniques mais tout aussi présents : des robots de livraison pour ascenseurs et couloirs d’hôtel, des autolaveuses qui sillonnent des centres commerciaux de 40 000 m² sans se plaindre, ...

Sans l’IA, ces progrès n’existeraient pas. Sur les stands, le petit panneau vert partenaire Nvidia revient souvent. Les modèles vendus sur le marché chinois tournent pour l’instant avec des versions bridées des puces de NVDIA selon les consignes américaines. (Cela risque de changer rapidement car le gouvernement chinois a interdit l’usage de puces étrangères car les chinoises sont au même niveau de performance. Cela a occasionné une alerte de Nvdia sur les marchés financiers). Malgré cela, les démonstrateurs restent bluffants. Face à cette montée, les États-Unis serrent les rangs. Nvidia mène la danse sur le logiciel et l’accélération IA, Boston Dynamics a sorti Atlas au-delà du labo, Tesla pousse Optimus depuis 2022, ... Côté français, l’histoire a pris l’eau. Aldebaran, longtemps star des salons avec Pepper et Nao, a fini en liquidation judiciaire le 2 juin. Triste épilogue pour une aventure née en 2005.

Retour à l’atelier. La Chine a installé 302 000 robots industriels en 2024 ce qui est un record mondial. La « silver economy » donne aussi des idées. La part des plus de 65 ans en Chine est passée de 8 % en 2009 à 15 % aujourd’hui. C’est un marché immense. UniX Ai, fondé en 2024 par Fred Yang, 28 ans, aligne six tours de table et sort un robot sur roues vendu 10 600 euros capable de préparer un repas simple, nettoyer le sol, vider une table, jeter les déchets, remplir le lave-vaisselle, jouer un air au guzheng pour tenir compagnie, ... Petite mise en garde tout de même. Un secteur qui chauffe attire aussi les mirages. À Suzhou, ville à une centaine de kilomètres de Shanghai, un ex-cadre de l’auto électrique raconte des stands qui montrent le même prototype d’un salon à l’autre … seulement repeint. Le film est connu, trop d’acteurs, guerre des prix, levées de fonds en série et le marché finit toujours par trier les costauds.

Et puis il y a la face gênante (mais dans la continuité du web) du salon. Au fond d’une allée, un stand minuscule baptisé Robot pour tout le monde expose une poupée robotisée aux cuissardes et à la perruque brune, mensurations affichées 86 60 90. Le public mâle s’agglutine. La techno ne choisit pas son usage, les gens le font à sa place. Raison de plus pour parler régulation et non seulement de prouesse.

En bref, la Chine avance à grandes enjambées. Des brevets par wagons, des prix cassés, des volumes qui grimpent, des sous-traitants affûtés. Si l’hypothèse d’un marché à 5 000 milliards se confirme, la décennie qui vient ressemblera plus à un chantier national qu’à un défilé de gadgets. Prenez une usine de 1 500 salariés qui installe 120 bras robots sur deux lignes. Taux de défaut qui passe de 2,1 % à 0,6 % sur douze mois, cadence qui monte de 18 à 22 unités par heure, amortissement bouclé en vingt-huit mois avec un prix moyen par bras à 65 000 euros maintenance comprise. Ce n’est pas de la magie. C’est de la mécanique au sens propre. Et c’est pour ça que tout le monde s’y rue car notre modèle économique n’est qu’une fuite en avant où seule la productivité et l’innovation prévalent. Et nous humains ? Il est plus qu’urgent de changer de modèle !


Le syndrome Nokia est de retour

Discussion audio sur la base de cet article réalisée avec NotebookLM

L’histoire se répète en changeant juste d’adresse. Ce qui se joue à Copenhague rappelle la gifle reçue par Helsinki quand Nokia a décroché. Le Danemark a connu une embellie dopée par la pharmacie. En 2023, sans l’élan du secteur, le PIB aurait reculé légèrement, dixit l’institut statistique danois. Le pays a donc vécu un cycle où une poignée d’usines, d’entrepôts et de brevets ont pesé plus que des pans entiers de l’économie domestique. Cette “réussite” a implicitement encouragé la facilité budgétaire. Puis la pompe s’est cassée. Le 10 septembre 2025, Novo Nordisk a annoncé neuf mille suppressions de postes dont cinq mille au Danemark. La cure d’amaigrissement vise des économies supérieures à huit milliards de couronnes. Le message est clair. Même le champion d’hier peut caler quand la concurrence change de braquet et que l’on perd dans cet exemple l’avantage sur le marché américain des traitements de l’obésité. Autre secousse concomitante : Ørsted (champion de l’éolien) vient de lancer une augmentation de capital d’environ soixante milliards de couronnes avec un rabais massif par rapport au cours. Les surcoûts, les blocages administratifs aux Etats Unis et un ordre d’arrêt des travaux sur un projet clé ont troublé la route. En Bourse, la dégringolade depuis 2021 a laissé des traces visibles sur les portefeuilles des ménages danois et sur l’ego national.

Le parallèle finlandais est évident. Au tournant des années 2000, Nokia a pesé à lui seul plus de trois points de PIB et a fourni près d’un point et demi de croissance au pays. Ses produits ont représenté une part énorme des exportations. Le smartphone est arrivé. Le marché historique s’est contracté et l’écosystème a encaissé des années d’anémie, preuve que la concentration expose un pays au même risque qu’une monoculture face au gel de printemps. Le cœur du problème ne tient pas seulement à l’emprise d’un mastodonte. Il tient à la non préparation de la fin du film. Quand l’économie s’accroche à deux ou trois locomotives, les décideurs glissent vers trois illusions :

L’abondance dure toujours. On inscrit des recettes exceptionnelles dans des dépenses ordinaires. On promet puis la manne s’étiole et les arbitrages piquent.

Le monde politique à l’étranger reste amical. Une signature à Washington change et des projets géants s’immobilisent.

La concentration rend plus efficace la politique industrielle. En réalité elle rend surtout les choix collectifs plus fragiles et les ego plus lourds.

Certains diront que la taille compte. Les dix plus gros groupes danois ont vu leur chiffre d’affaires cumulé passer d’environ vingt pour cent du PIB au tournant des années 1990 à presque la moitié du PIB au milieu des années 2010. Ce poids s’est installé dans les comptes nationaux, dans les rêves des étudiants et dans les plans des ministères. Belle mécanique quand tout roule, piège quand une pièce casse.

Que faire quand on se réveille un matin avec trop de dépendances et pas assez de filets de sécurité. Il faut d’abord admettre le caractère cyclique des super entreprises. Une ville du Jutland qui calcule ses recettes futures au rythme des embauches de Novo se raconte une histoire bien trop lisse. Un fonds de stabilisation alimenté par les périodes fastes permettrait de lisser les à-coups budgétaires liés aux hausses et aux creux de profits. Considérons ceci comme une assurance qualité de la dépense publique avec des règles transparentes et automatiques qui déclenchent l’épargne quand l’excédent gonfle et la relance quand il retombe. Ensuite il faut regarder les comptes comme une banque regarde ses risques. Stress tests annuels. Et si la valeur ajoutée pharmaceutique reculait de dix pour cent. Et si un moratoire gelait un parc éolien. On mesure l’effet sur les recettes fiscales, sur les importations d’équipements, sur l’emploi qualifié, ... On publie les résultats. On ajuste les dépenses. Ce genre d’exercice met fin aux plans trop optimistes qui se nourrissent de courbes droites dans un monde qui zigzague. Il faut aussi élargir la base productive : logistique plus fluide pour les PME exportatrices, accès au financement non dilutif quand les cycles d’innovation se rallongent, marchés publics ouverts où la taille n’écrase pas la créativité des plus petits. Un pays diversifié ressemble à un verger où les arbres ne mûrissent pas tous le même jour. On ne perd pas toute la récolte au premier orage. Enfin, la souveraineté ne se résume pas à la bannière plantée sur quelques sièges sociaux. Elle exige une capacité à dire non aux angles morts. Non à la tentation de financer la vie publique avec un seul impôt implicite sur les bénéfices d’un champion. Non aux politiques industrielles écrites à chaud sur la base de cours de Bourse. Non à l’idée qu’un carnet de commandes à New York vaut promesse éternelle dans les budgets locaux. L’épisode Ørsted et les chiffres de 2025 rappellent que les vents changent plus vite que les plans quinquennaux.

La morale de l’histoire tient en peu de mots. Un pays n’épouse pas ses entreprises. Il danse avec elles. Quand la musique ralentit, il doit garder l’équilibre sans les bras du partenaire. Les Danois ont le talent, la discipline et la confiance pour réussir cette figure. Aux autorités d’installer la rambarde macroéconomique qui évite la chute. Le Finlandais l’a appris au prix fort. Le Danois peut éviter de reprendre la même leçon au tableau. Et pour ceux qui doutent encore de la réalité du risque, deux chiffres suffisent. Sans la pharmacie, 2023 aurait viré au rouge. Une semaine de septembre 2025 aura suffi pour rappeler qu’un plan social chez Novo et une dilution chez Ørsted peuvent érafler la vitrine d’un pays modèle. Le reste n’est pas une fatalité. C’est une question de préparation, pas de destin.

Toute ressemblance avec d’autres pays est bien entendu totalement fortuite …


Bonnes métamorphoses et à la semaine prochaine.

Stéphane

Métamorphoses

Par Stéphane Amarsy

Stéphane est un entrepreneur visionnaire et un pionnier dans l'intersection de l'intelligence artificielle et de la transformation organisationnelle / sociétale. Fondateur de The Next Mind, il est guidé par une philosophie simple, mais percutante : "Mieux vaut s'occuper du changement avant qu'il ne s'occupe de vous !"

Sa trajectoire professionnelle, marquée par la création d'Inbox, devenue plus tard D-AIM en changeant complétement de business model, des levées de fonds, la fusion avec Splio, et l'élaboration du concept disruptif d'Individuation Marketing, sert de fondation solide à sa nouvelle entreprise. The Next Mind est le fruit de décennies d'expérience dans l'accompagnement de plus de 400 entreprises à travers plus de 30 pays dans leur transformation digitale / data / IA et organisationnelle.

Auteur du livre ​​"Mon Directeur Marketing sera un algorithme"​​, qui est une description de la société qu'il a projetée en 2017, auteurs de nombreuses tribunes, conférencier et intervenant dans plusieurs universités et écoles, il ne se contente pas de prêcher la transformation, il l'incarne. Chaque expérience proposée par Stéphane est inspirée entre autres par son vécu d'entrepreneur. Il pousse à affronter les réalités d'un monde en perpétuels changements. Stéphane est convaincu que la prise de conscience n'est que la première étape ; ce qui compte vraiment, c'est la capacité à agir et à s'adapter.

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