-Anticiper le futur de l’IA pour ne pas prendre le mur -Différences entre l’apprentissage humain et celui de l’IA -L’Europe, le numérique et la volonté de choisir son avenir -Extrait du livre d'Histoire : "La Grande Fragmentation - Chronique de la fin des États-Unis (2025-2050)", publié en 2070. -Est ce possible ?
Bonjour à toutes et tous,
Au menu cette semaine :
Anticiper le futur de l’IA pour ne pas prendre le mur
Différences entre l’apprentissage humain et celui de l’IA
L’Europe, le numérique et la volonté de choisir son avenir
Extrait du livre d'Histoire : "La Grande Fragmentation - Chronique de la fin des États-Unis (2025-2050)", publié en 2070.
Est ce possible ?
Bonne lecture.
Stéphane
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J’ai le plaisir de partager avec vous la vidéo de ma dernière conférence, où j’explore entre autres l’écosystème de l’IA et l’évolution rapide des métiers.
Dans ce talk, j’explique pourquoi comprendre les enjeux de l’IA, ses opportunités et ses côtés obscures. Nous devons tous être acteurs !
https://lnkd.in/gMYW5XDQ
Je vous invite à visionner cette conférence et à me faire part de vos retours, questions ou expériences personnelles dans les commentaires. Ensemble, continuons à construire un futur où l'IA profite à toute l'humanité.
Depuis seulement quelques années, nous avons vu les systèmes d’intelligence artificielle dépasser progressivement les capacités humaines dans des domaines réputés exigeants, tels que les mathématiques avancées, la programmation complexe ou encore le diagnostic médical. Loin de stagner, ces performances s’amplifient de jour en jour. Par ailleurs, certains éditeurs d’IA ont récemment révisé à la baisse la définition même de l’IAG, ce qui contribue à raccourcir les délais désormais avancés pour son émergence... La conséquence ? Dans un avenir potentiellement plus proche qu’on ne le croit (peut-être dès 2026 ou 2027, et qui sait, même dès cette année) certaines organisations proclameront avoir développé une forme d’Intelligence Artificielle Générale à savoir une entité algorithmique capable, en théorie, de s’acquitter de l’éventail quasi complet des tâches cognitives normalement réservées à l’être humain.
Il est clair que l’IAG soulève des controverses conceptuelles et philosophiques autour de sa définition ou encore de sa pertinence. Au-delà de ces nuances, la question fondamentale consiste à réaliser qu’en perdant le monopole sur les formes d’intelligence que nous pensions être le propre de l’humanité, nous entrons dans une ère où la puissance de calcul et de raisonnement des machines s’apprête à redessiner les contours de l’économie, de la politique et de la société sans pour autant être holistique. Il ne s’agit pas d’un simple discours alarmiste. Les acteurs économiques et gouvernementaux ont déjà identifié la portée stratégique de l’IA, comme l’illustre l’engagement de centaines de milliards de dollars dans ce secteur. Les perspectives de puissance géopolitique, militaire et économique pour ceux qui possèdent cette technologie sont gigantesques. Pourtant, un grand nombre de décideurs et de citoyens demeure insuffisamment préparé pour appréhender pleinement ces bouleversements.
C’est précisément là que se situe le danger fondamental : penser que tout cela n’est qu’illusion ou hypothèse farfelue. Certains continuent de considérer l’IA comme un simple gadget technologique dénué d’influence profonde. Une telle forme de scepticisme peut mener à un relâchement imprudent. En réalité, il suffit d’observer le déploiement rapide de systèmes numériques capables de réorganiser radicalement nos structures économiques, culturelles et sociales pour saisir l’importance de l’enjeu. Est-il judicieux de s’en féliciter ou de s’en alarmer ? Sans doute un mélange des deux. Qu’elle soit perçue comme un atout formidable ou comme un risque majeur, l’émergence imminente de l’IAG (même redéfinie) oblige des interrogations de premier ordre : comment s’assurer d’une redistribution équitable des profits générés ? Quelles dispositions prendre pour contenir les déviances potentiellement dommageables ? De quelle manière restructurer le champ des activités professionnelles lorsque ces systèmes ultra-performants prendront en charge diverses tâches complexes ?
Ce qui me frappe, c’est à quel point les acteurs de premier plan de l’IA eux-mêmes s’alarment de la rapidité de ces progrès. On aurait pu croire que ceux qui font avancer la technologie l’enjoliveraient sans réserve. Pourtant, de Sam Altman (OpenAI) à Demis Hassabis (Google DeepMind) en passant par Dario Amodei (Anthropic), tous alertent sur l’arrivée imminente de systèmes plus intelligents que l’humain dans la plupart des tâches. Ils ne jouent pas aux prophètes de pacotille : ils constatent ce qui se trame dans leurs laboratoires et je ne pense pas qu’ils s’agissent de marketing …
On suspecte souvent et à juste raison que ces grands noms exagèrent pour servir leurs intérêts commerciaux et attirer investisseurs et clients. Mais l’alerte ne vient pas que d’eux : Geoffrey Hinton ou Yoshua Bengio, incontournables figures du domaine, expriment les mêmes inquiétudes. Plusieurs experts de haut vol, des mathématiciens aux spécialistes de la cybersécurité en passant par des responsables gouvernementaux, nous préviennent : oui, cette révolution pourrait bien se produire très vite. En parallèle, il suffit d’observer la progression des modèles d’IA récents. Alors qu’hier ils se prenaient les pieds dans des opérations arithmétiques de base, hallucinaient des réponses loufoques et montraient des limites flagrantes en matière de raisonnement, ils sont aujourd’hui en passe de se substituer à tout un pan de tâches jusque-là réservées aux experts humains.
Préparer l’arrivée d’une éventuelle IAG (même si elle ne se matérialise pleinement que dans 10 ans) ne relève ni de la science-fiction ni d’un excès de prudence. Il suffit de se souvenir des premières années de Facebook ou Twitter : en constatant un potentiel formidable, on a aussi découvert tardivement ses revers. Résultat : ils sont devenus incontournables, difficilement régulables, au point d’influencer massivement l’opinion publique et les démocraties, sans parler de la multiplication des nuisances (faux comptes, spams, etc.). Avec l’IA, on ne peut pas se permettre le luxe de la naïveté. Si elle va redistribuer les cartes de la finance, de l’industrie, de la santé, de l’éducation, de la culture et, bien sûr, de la sécurité, alors il faut agir dès maintenant, chercher à fixer des principes éthiques et politiques globaux, renforcer nos systèmes de défense, instaurer un cadre réglementaire intelligemment pensé, développer des programmes pédagogiques pour familiariser les jeunes et les citoyens à l’IA, pas seulement dans ses promesses mais aussi dans ses risques.
J’entends déjà ceux qui craignent que cette prise de conscience accélère un contrôle ou une régulation perçue comme trop stricte. Or, si la réglementation est adaptée et agile, elle fera davantage figure de garde-fou que de frein au progrès. La véritable entrave, ce serait plutôt de laisser se déployer de manière chaotique une technologie qui pourrait sans concertation ni vision saper nos fondements sociaux, économiques et politiques. Car, quoi qu’on en pense, les budgets gigantesques sont déjà là, les investissements affluent, et les entreprises ne s’arrêteront pas en chemin. Si nous choisissons d’ignorer les signaux, nous risquons de nous éveiller trop tard à savoir quand l’IA aura gagné en puissance et bouleversé nos équilibres sans que personne ne s’en soit réellement soucié. Plutôt que de subir la révolution à venir, profitons du temps qu’il nous reste pour organiser la mobilisation collective. Nous avons besoin de tous : scientifiques, entrepreneurs, politiques, éducateurs, chercheurs en sciences humaines, citoyens. L’enjeu est aussi éthique qu’économique, aussi politique qu’intellectuel.
Oui, je sais que certains trouvent cette vision « folle » ou exagérée. Mais je préfère l’idée que l’on se prépare trop à une avancée forte de l’IA plutôt que de ne pas s’y préparer du tout. Face à l’Histoire, ce sont souvent les incrédules qui ont fini balayés par les vagues qu’ils n’ont pas vues venir. L’appel du jour, c’est de ne plus nier l’évidence : l’IA est déjà là, et l’IA générale (partielle) pointe peut-être au bout du chemin. Libre à nous d’accepter de nous y adapter ou de la subir.
Le système cognitif humain possède la capacité d’assimiler rapidement une grande variété de compétences et de s’adapter à de multiples contextes, même avec un nombre limité d’exemples concrets. Cette plasticité, héritée de millions d’années d’évolution, permet à un être humain d’être rapidement « moyen » voire fonctionnel dans des domaines très variés, qu’il s’agisse de comprendre un concept abstrait, de cuisiner un plat ou d’apprendre les bases d’une langue étrangère.
À l’inverse, les systèmes d’intelligence artificielle actuels exigent généralement d’énormes quantités de données et de nombreux exemples pour se spécialiser avec précision dans une tâche ou un champ particulier. Ils reposent sur des algorithmes (notamment de machine learning et deep learning) qui ajustent leurs paramètres internes en traitant des volumes massifs d’informations. Une IA peut se révéler extraordinairement performante, voire « supra-humaine », dans certaines tâches très ciblées (par exemple, la reconnaissance d’images médicales ou la résolution de problèmes de mathématiques avancées), mais éprouvera des difficultés à effectuer de façon satisfaisante un large éventail de tâches plus éclectiques.
Cette différence ne signifie pas que l’IA ne puisse pas s’améliorer sur divers sujets, mais elle rappelle tout simplement que la diversification rapide et « transversale » de l’apprentissage humain est encore difficile à répliquer. Mais au fur et à mesure que la recherche progresse (réseaux de neurones plus flexibles, approches d’apprentissage par transfert, etc.), on observe une tendance à rendre les IA plus adaptatives et polyvalentes. Cela reste néanmoins un défi complexe pour tendre vers une IA véritablement générale.
Sur fond de Digital Markets Act (DMA), de craintes de rétorsions douanières brandies par l’administration Trump, et de tiraillements sur l’ouverture des plateformes d’Apple et d’Alphabet (Google), la grande question est : l’Europe aura-t-elle les moyens de sa vision ?
D’un côté, Bruxelles entend montrer qu’elle sait faire respecter ses lois sur la concurrence et la protection des consommateurs. Elle vient de publier ses conclusions « préliminaires » accusant Google (Search, Google Play) d’enfreindre les obligations du DMA sur le référencement, le traitement de services tiers et la liberté d’informer les utilisateurs sur les moyens de paiement alternatifs. Dans la foulée, elle propose des « recommandations » à Apple pour ouvrir davantage ses iPhoneS à la concurrence. Cela va jusqu’à exiger une meilleure interopérabilité des montres, casques ou télévisions connectés.
De l’autre, les entreprises américaines répliquent avec véhémence : qu’il s’agisse de Google, qui voit dans ces mesures un frein à l’innovation et à la qualité de ses produits, ou d’Apple, dénonçant des « lourdeurs administratives » et un nivellement par le bas. Donald Trump avait promis de protéger ces fleurons de la tech, quitte à brandir la menace de surtaxes sur les produits européens. Résultat, la tension grimpe. Les Américains parlent de protectionnisme déguisé, la Commission Européenne veut rester ferme et cohérente dans l’application de ses règlements y compris l’AI Act. Les entreprises technologiques européennes la poussent à ne rien lâcher.
Si l’on prend un peu de hauteur, on voit se dérouler en temps réel la partie d’échecs majeure du XXIᵉ siècle : celle de la souveraineté numérique. L’Europe a amorcé une refonte de ses règles de jeu en imposant des principes forts : concurrence loyale, interopérabilité, transparence, équité dans les flux de revenus et obligations renforcées pour les plateformes structurantes. Autrement dit, qu’on s’appelle Alphabet, Apple ou Meta, on ne peut plus se contenter de déployer ses offres en contournant les régulations locales. L’Union Européenne n’ignore pas qu’elle avance sur une ligne de crête. Trop de régulation risque de brider l’innovation, mais pas assez l’empêcherait de peser dans la balance mondiale. Derrière ce bras de fer, c’est la place de l’humain qui reste au cœur de la transformation numérique : comment équilibrer les intérêts des développeurs tiers, des PME, des consommateurs, face à la puissance colossale des GAMAM ? Comment éviter que l’innovation reste concentrée dans quelques mains ? Et, surtout, comment saisir cette révolution pour mieux valoriser la différence humaine dans un paysage où l’intelligence artificielle étend encore et toujours son emprise ?
Les dés ne sont pas encore jetés. Les procédures engagées laissent à Apple et à Alphabet l’opportunité de se défendre avant toute sanction qui pourrait grimper jusqu’à 10 % de leur chiffre d’affaires. L’entourage de Teresa Ribera (vice-présidente chargée de la concurrence) insiste sur le fait que « les lois sont appliquées de manière équitable et non discriminatoire ». La pression politique et économique est considérable : les États-Unis montent au créneau et en parallèle de nouvelles décisions européennes sont attendues dans trois enquêtes sur des manquements similaires au DMA. Au-delà du bras de fer, c’est une leçon de résilience et d’adaptation qui se dessine. Le monde change à une allure folle, comme j’aime le répéter : « Mieux vaut s’occuper du changement avant qu’il ne s’occupe de nous ! » L’Europe prend le parti de réglementer pour inciter les acteurs du numérique à mieux partager la valeur et à intégrer davantage de transparence dans leurs pratiques. Ce n’est pas une route aisée . On accuse souvent les institutions de lourdeur, on redoute l’effet contre-productif de réglementations trop pesantes. Pourtant, c’est précisément à travers ces initiatives que l’on peut construire un cadre propre à préserver la diversité des intelligences et à stimuler l’émergence de nouvelles solutions.
La véritable question est la suivante : voulons-nous, en Europe, rester spectateurs d’un match orchestré ailleurs ? Ou choisissons-nous d’écrire le scénario de notre destin numérique ? En mettant en place des règles du jeu claires et en veillant à ce qu’elles soient respectées, l’Europe pose un jalon dans la construction d’un nouvel équilibre. Et si la diplomatie commerciale, voire des représailles, viennent s’en mêler, alors c’est là que se révélera notre capacité à tenir un cap et à défendre nos convictions. Car l’enjeu n’est pas seulement de pénaliser tel ou tel géant ; il est de créer un écosystème où naissent des champions innovants, où la concurrence n’est pas qu’un mot, et où l’humain dans sa pluralité d’intelligences reprend toute sa place face à la machine.
Chapitre 5 : De l'influence à l'éclatement – Le triomphe des États-Entreprises
En 2025, l'Amérique sortait d'une période politique tumultueuse dominée par une polarisation extrême accentuée par des leaders comme Donald Trump et des figures emblématiques de la tech comme Elon Musk et Peter Thiel. Ces personnes exerçaient déjà une influence inédite. Le pivot intervint lors de la présidentielle de 2028, surnommée par les historiens « L'élection des milliardaires ». Lors de cette campagne, Elon Musk déclara ouvertement : « Pourquoi devrions-nous encore dépendre d'un gouvernement lent et bureaucratique quand la libre initiative peut accomplir davantage, mieux et plus vite ? » (Conférence X-Corp, mai 2027). Musk, Thiel, et d'autres magnats investirent massivement dans la campagne de figures politiques favorables à leurs intérêts, avec pour conséquence une modification durable de la nature du jeu démocratique. En 2029, sous la présidence de J.D. Vance, ancien protégé de Thiel, le Congrès vota le Corporate Sovereignty Act, qui permit aux entreprises dépassant 500 milliards de dollars de valorisation d'obtenir un statut semi-autonome similaire à celui d'un État fédéral.
En 2032, Amazon, rebaptisée Amazônia après sa fusion avec plusieurs états du nord-ouest dont Washington et l'Oregon, devint la première entreprise-État. Jeff Bezos, lors de la cérémonie officielle de fondation, déclara : « Nous ne construisons pas un empire commercial, mais une nouvelle civilisation basée sur le mérite et l'innovation. » (Discours d’inauguration, Seattle, 2032).
Très vite, Google (rebaptisé Alphabetica), Microsoft (Microstania), Tesla (Muskland), Meta (Zuckerbergia), et Apple (Cupertino Union) suivirent la même voie. Chacune négocia des traités d’association avec différents États fédéraux affaiblis financièrement par des crises successives. En 2038, Alphabetica prit contrôle de la Californie après avoir sauvé l'État de la faillite financière grâce à un prêt massif assorti de conditions draconiennes. Sundar Pichai expliqua ce geste en ces termes : « Alphabetica a simplement assumé la responsabilité sociale et économique là où les politiciens traditionnels avaient échoué. » (Conférence de presse à Mountain View, juillet 2038).
Entre 2040 et 2045, les États fédéraux américains étaient devenus financièrement dépendants des géants corporatifs. Chaque élection présidentielle renforçait le pouvoir économique et politique des entreprises, jusqu'à la crise constitutionnelle de 2046. Cette année-là, lors d’un sommet à Denver, les dirigeants des six grandes entreprises-États annoncèrent simultanément leur retrait de l'Union fédérale, arguant que le gouvernement fédéral était devenu obsolète. Cette déclaration historique nommée le « Manifeste de Denver », stipulait clairement : « La gouvernance doit revenir aux entités les plus compétentes, capables d'assurer croissance et prospérité sans être entravées par la bureaucratie dépassée de Washington. » (Manifeste de Denver, juin 2046).
Le président en fonction, William Hastings, tenta de réagir mais dépourvu des ressources économiques nécessaires, il fut contraint d'accepter la dissolution progressive de l'Union. Le 4 juillet 2050, symboliquement choisi par Musk pour marquer l’acte final, les États-Unis furent officiellement dissous en six entités distinctes : Muskland, Alphabetica, Amazônia, Zuckerbergia, Microstania, et Cupertino Union. Cette fragmentation transforma profondément l'Amérique. Tandis que les entreprises-États affichaient prospérité et innovation, d'autres régions, laissées en marge, entrèrent dans une phase prolongée d'instabilité économique et sociale. L’historienne Anaïs Richardson conclut dans ses mémoires publiées en 2065 : « Nous avions cru libérer le potentiel américain, mais en réalité, nous avions abandonné notre démocratie au nom de la rentabilité immédiate. » ("Chroniques d'un pays perdu", Richardson, 2065).
La question centrale qui anime la réflexion contemporaine est de savoir si l'avenir démocratique américain est désormais subordonné aux intérêts économiques et idéologiques des grandes entreprises technologiques. Il convient d'examiner avec précision comment des protagonistes emblématiques telles qu’Elon Musk, Peter Thiel ou J.D. Vance, associées aux idéologies portées par Donald Trump, ont progressivement modifié la nature même de l'influence politique. Durant ces cinq dernières années, les milliardaires de la Silicon Valley et leurs alliés ont transcendé leur rôle traditionnel de chefs d'entreprise pour devenir des acteurs politiques explicitement engagés. Le rachat de Twitter par Elon Musk, désormais renommé « X », constitue un parfait exemple car la plateforme traditionnellement perçue comme espace public numérique est devenue un vecteur d'influence politique directe sous couvert de défendre une conception libertarienne radicale de la liberté d’expression. Elon Musk a également illustré la puissance d’influence individuelle en matière de politique étrangère avec Starlink, son silence sur la Chine (il a de gros intérêts dans ce pays) et ses diatribes à l’encontre du Brésil ou de l’Australie, sans parler de son soutien officiel à certains partis européens extrémistes. Son soutien explicite à certains politiciens républicains notamment via sa plateforme amplifie encore cette emprise directe sur les processus électoraux.
Peter Thiel représente quant à lui une forme d’influence indirecte, mais tout aussi impliquante. En finançant massivement des campagnes électorales via des super PACs. Les PACs (Political Action Committees) sont des organisations politiques américaines destinées à collecter des fonds pour soutenir des candidats ou des causes spécifiques lors des élections. Ils sont apparus après la décision Citizens United de 2010 et permettent aux individus, entreprises ou syndicats de contribuer sans limite financière aux campagnes électorales à condition qu'il n'y ait pas de coordination directe avec les candidats ou leurs équipes officielles. Ce mécanisme amplifie considérablement l'influence politique des acteurs privés fortunés comme Thiel. Ce dernier a façonné de véritables carrières politiques notamment celle du sénateur J.D. Vance. Il s’agit d'une redéfinition du fonctionnement démocratique aux États-Unis où la puissance financière des acteurs privés conditionne désormais l'accès à la représentation politique. L'ancien président Trump par son utilisation intensive des plateformes numériques et ses interactions complexes avec ces nouveaux acteurs technologiques est aussi le symbole d’une hybridation croissante entre sphères médiatique, technologique et politique qui brouille ainsi les frontières traditionnelles entre pouvoir économique et pouvoir politique. Rappelons aussi que bon nombre de ses ministres étaient journalistes de sa chaîne de télévision préférée Fox News …
L'intelligence artificielle constitue un autre vecteur essentiel d'influence politique. L'exploitation massive des données personnelles par les géants technologiques permet non seulement de cibler précisément les électeurs et d'influencer leurs choix. Son usage impose également d'importantes questions éthiques liées à la vie privée, à la transparence des algorithmes et à la manipulation potentielle des comportements électoraux. À mesure que l'IA s'intègre davantage dans les processus démocratiques, la régulation éthique de l'usage des données devient indispensable pour préserver l'intégrité du débat démocratique et éviter une nouvelle forme d’oligarchie numérique.
Ce constat oblige à repenser la gouvernance démocratique contemporaine si nous souhaitons qu’elle perdure. l’interrogation fondamentale réside désormais dans la capacité du système politique américain à réguler efficacement cette influence afin de préserver l’autonomie du débat démocratique face à une privatisation croissante de la sphère publique numérique. Cela implique entre autres un renforcement significatif des régulations antitrust, une meilleure transparence sur les financements politiques et une protection accrue de la vie privée et des libertés individuelles dans l'espace numérique.
Et en France ?
En France, la problématique de l'influence politique exercée par les grandes fortunes présente des spécificités distinctes, bien qu'elle partage certaines dynamiques avec la situation américaine. L'étude approfondie du cas de Vincent Bolloré permet de saisir pleinement les mécanismes par lesquels les acteurs économiques influencent la sphère politique nationale. Vincent Bolloré, à travers l'acquisition stratégique de groupes médiatiques majeurs comme Canal+, CNews ou Europe 1 est devenu un pivot important de la structuration idéologique du débat public français. En donnant une forte visibilité à des personnalités telles qu'Éric Zemmour, ses médias ont favorisé l’émergence et la légitimation d'un discours politique radical autrefois marginalisé (voir la fenêtre d’Overton). L’effet cumulatif de cette stratégie médiatique contribue à polariser davantage la société française. Cela a généré un climat où les débats rationnels et nuancés deviennent plus difficiles.
Cette stratégie de concentration médiatique impose des préoccupations quant à l'intégrité du pluralisme démocratique. Un contrôle médiatique étendu permet d'exercer une influence politique substantielle sans passer par les mécanismes traditionnels de représentation électorale.
Bolloré n’est pas une exception isolée. D’autres grands patrons français, tels que Bernard Arnault, Patrick Drahi, Martin Bouygues ou Xavier Niel, détiennent eux aussi d’importants leviers médiatiques qui leur permettent d'exercer une influence significative sur l'agenda politique national. Cette situation interroge sur l'équilibre entre liberté économique et impératifs démocratiques fondamentaux. Le cœur du débat réside par conséquence dans la capacité des institutions françaises à garantir le pluralisme et à établir une séparation claire entre intérêts privés et intérêt public. À cette fin, il apparaît plus qu’urgent de renforcer les cadres réglementaires existants notamment en matière de concentration médiatique afin de prévenir une dérive oligarchique qui pourrait compromettre durablement l'espace démocratique français. Cela nécessite également une vigilance accrue de la société civile et des citoyens afin d'assurer un contrôle efficace sur ces dynamiques économiques et médiatiques.
Bonnes métamorphoses et à la semaine prochaine.
Stéphane