Neurotechnologies : évolution, enjeux et défis
Les neurotechnologies incluent pour l’instant les implants cérébraux, les bandeaux EEG et les écouteurs équipés d'électrodes. Ces technologies, initialement conçues pour des applications thérapeutiques, s'étendent progressivement au marché de la consommation de masse en répondant à une demande croissante pour des performances cognitives améliorées et le bien-être. Ces dispositifs promettent de renforcer la mémoire, d'améliorer la concentration et même de stimuler l'apprentissage. Leur efficacité n'est pas toujours prouvée et leur commercialisation impose de nombreuses questions éthiques et sociétales.
Historique des neurotechnologies
Les premières interventions sur le cerveau remontent à des époques anciennes comme en témoignent des crânes de néandertaliens portant des traces de trépanation. Cette pratique rudimentaire consistait à percer des trous dans le crâne pour libérer des énergies supposément néfastes. Heureusement les avancées ont été significatives depuis ces premières expérimentations et en particulier avec l'introduction de la stimulation cérébrale profonde (SCP) à Grenoble en 1987). La SCP est aujourd'hui utilisée pour traiter des maladies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson et des troubles psychiatriques résistants aux traitements comme la dépression et les troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Elle consiste à implanter des électrodes dans le cerveau qui envoient des stimulations électriques afin de réguler l'activité neuronale.
Parmi les technologies non invasives, la stimulation transcrânienne à courant continu (tDCS) est une approche rependue qui consiste à appliquer un courant électrique faible via des électrodes placées sur le cuir chevelu. Cette technique est actuellement testée dans plusieurs villes françaises sur des patients souffrant d'épilepsie afin de réduire la fréquence des crises. Ces approches sont moins coûteuses et moins invasives que les implants cérébraux mais les résultats varient selon les patients. Les avancées récentes dans la stimulation magnétique transcrânienne (TMS) ont également montré un potentiel pour traiter des troubles comme la dépression résistante avec des résultats prometteurs. Ces technologies non invasives représentent une voie pour des patients qui ne souhaitent pas recourir à une intervention chirurgicale.
L'IA au service des Neurotechnologies
Les neurotechnologies s'appuient de plus en plus sur l'IA pour analyser et interpréter les données neuronales. Par exemple, lors du sommet des Nations unies "AI for Good" à Genève, un casque équipé d'électrodes a permis d'envoyer un tweet par la pensée grâce à un algorithme d'IA générative. Cette interaction entre IA et neurotechnologies ouvre des perspectives pour les personnes handicapées en leur offrant de nouveaux moyens de communication. Ces technologies permettent aussi de mieux comprendre les schémas neuronaux associés à certaines émotions ce qui facilite par conséquence le développement de traitements adaptés aux patients souffrant de dépression ou de stress chronique.
Des entreprises comme Neuralink (appartenant à Elon Musk) et Synchron travaillent sur des implants cérébraux pour établir une interface directe entre le cerveau et une machine. Ces implants peuvent être utilisés pour aider les personnes handicapées mais aussi pour améliorer les capacités cognitives. Par exemple, un patient souffrant de paralysie pourrait utiliser un implant pour contrôler un ordinateur par la pensée ce qui augmente son autonomie. Ces progrès sont rendus possibles grâce à la miniaturisation des équipements et aux progrès des algorithmes d'IA. Les initiatives sont soutenues par des investissements privés significatifs car il s’agit certainement d’un énorme business à venir. L'IA apporte de nouvelles capacités comme de prévoir l'évolution des troubles neurologiques complétée par des traitements plus personnalisés et plus précis. Les méthodes mathématiques permettent de détecter des motifs complexes dans les données neuronales et d'adapter en temps réel la stimulation cérébrale en fonction des réactions du patient.
Vers un marché de masse
Les neurotechnologies ne se limitent plus aux laboratoires de recherche ou aux hôpitaux. Aujourd'hui, des entreprises comme Emotiv commercialisent des casques EEG pour analyser les émotions des utilisateurs à des fins de neuromarketing ou pour mesurer le stress et la concentration au travail. Ces technologies sont présentées comme des outils destinés à améliorer le bien-être et les performances individuelles aussi bien pour un usage personnel que professionnel. Par exemple, l'utilisation de bandeaux EEG dans une école en Chine pour mesurer l'attention des élèves montre comment des technologies censées être bénéfiques peuvent être détournées à des fins controversées. Cette intrusion dans la vie privée des élèves illustre les risques de l'utilisation des neurotechnologies à des fins de contrôle ou de manipulation surtout en l'absence de garanties suffisantes pour protéger les droits des individus. Imaginez que les employeurs aient le droit d’utiliser ces dispositifs pour évaluer le niveau de concentration des employés …
Au demeurant, on commence à assister à une mise sur le marché de nombreux produits de ce type dont les arguments marketing sont pour l’instant bien supérieurs que la réalité en termes d’effets réels. Les produits stars sont pour l’instant des bandeaux pour favoriser la concentration et des casques pour stimuler le sommeil.
L'utilisation des neurotechnologies pose des questions éthiques notamment en ce qui concerne la protection des données neuronales. Aux États-Unis, des états comme la Californie et le Colorado considèrent désormais ces données comme étant sensibles ce qui les les placent sous la même protection que les données biométriques et génétiques. Cette considération permet de mieux protéger les utilisateurs des potentielles utilisations abusives de leurs données neuronales surtout dans un contexte commercial. Quid des autres Etats ? Compte tenu de la volonté de dérégulation de la nouvelle administration Trump, il est fort possible que tout soit permis. Dans ce contexte, il n’y a qu’un pas pour que les humains deviennent une source de données part la captation de ce qui se passe dans nos cerveau (Pour en savoir plus, vou spouvez lire Métamorphoses n°71). En Europe, même si l'AI Act limite certains usages des casques EEG à des fins non thérapeutiques, il reste des lacunes dans la protection des données personnelles de ce type qui ne sont pas toujours considérées comme sensibles.
Les enjeux éthiques vont au-delà de la simple collecte de données. Comme le souligne la neuroéthicienne Anna Wexler, l'utilisation des données à des fins de manipulation cognitive ou comportementale pose des risques considérables, notamment lorsque ces technologies sont appliquées à des populations vulnérables. La création de "bulles cognitives" dont l'utilisateur ne pourrait sortir est une inquiétude exprimée par plusieurs experts. Ces bulles peuvent induire les perceptions et les comportements de manière insidieuse. Elles rendent les utilisateurs dépendants de stimulations extérieures sans qu'ils ne s'en rendent compte. Le libre arbitre est au cœur des débats éthiques sur les neurotechnologies.
Par ailleurs, les implants cérébraux pourraient être utilisés non seulement pour restaurer des fonctions cognitives perdues, mais aussi pour augmenter artificiellement les capacités mentales d'individus en bonne santé. Ce type d'utilisation pourrait créer de nouvelles formes de privilèges et accroître les inégalités sociales en fonction de l'accès à ces technologies coûteuses. La définition des limites entre une utilisation thérapeutique et une utilisation d'augmentation est de ce fait clé pour éviter des dérives mais elle ne peut avoir de sens qu’au niveau mondial …
La concentration des acteurs dans le domaine des neurotechnologies influe sur l'équité d'accès aux innovations. La majorité des brevets déposés provient de quelques pays selon l’UNESCO, principalement des États-Unis, de la Chine, de la Corée du Sud, du Japon, de l'Allemagne et de la France, qui représentent à eux seuls 87 % des brevets déposés dans ce domaine. Cette concentration géographique des dépôts de brevets signifie que les avancées technologiques sont contrôlées par des entreprises et des centres de recherche situés dans ces pays. Les pays en développement qui ne disposent pas des mêmes ressources pour la recherche et le développement se retrouvent dépendants des nations plus avancées tant pour l'accès aux technologies que pour la formation nécessaire à leur utilisation.
L'écart entre les populations qui peuvent se permettre des technologies d'augmentation cognitive et celles qui n'ont pas accès aux soins de base pourrait aggraver les inégalités sociales. Elon Musk, fondateur de Neuralink, a affirmé vouloir rendre les implants cérébraux accessibles pour moins de 2 000 euros, mais ce prix reste hors de portée pour une grande partie des habitants des pays en développement. Les différences de coûts et de réglementation entre les pays pourraient aboutir à un scénario où seules les élites profitent des avancées neurotechnologiques ce qui laissera une partie importante de la population en marge. Cette situation pourrait créer une fracture numérique accrue dans laquelle l'accès aux technologies cognitives devient un privilège de classe sociale comme dans bon nombre d’ouvrage d’anticipation.
Les enjeux futurs de l'IA et des neurotechnologies
Les défis futurs des neurotechnologies vont au-delà de la question de l'accès ou de la régulation. Il est également nécessaire de relever des défis scientifiques pour améliorer notre compréhension du cerveau humain. Comme l'a souligné l'Académie nationale de médecine des États-Unis, la recherche sur le cerveau pourrait avoir un impact aussi significatif que celui du Human Genome Project en révolutionnant notre manière de comprendre et de traiter les maladies neurologiques. Ces recherches permettront de développer des modèles plus précis des circuits neuronaux et de concevoir des interventions sur mesure pour chaque patient. En parallèle, il est essentiel de protéger le libre arbitre des individus et d'éviter que les neurotechnologies soient utilisées à des fins d'augmentation non thérapeutique des capacités cognitives, ce qui pourrait créer une "supernormalité" inégalement distribuée. Les discussions autour de l'éthique des neurotechnologies doivent également inclure une réflexion sur la capacité des individus à consentir librement, surtout lorsqu'ils sont dans des situations de vulnérabilité.
Les enjeux futurs concernent aussi l'évaluation des risques à long terme de l'utilisation des neurotechnologies. La durée de vie des implants, les effets secondaires potentiels et la maintenance des dispositifs sont autant de questions qui doivent être abordées pour garantir la sécurité des utilisateurs. La maintenance des implants pourrait être coûteuse et les patients pourraient se retrouver sans assistance en cas de faillite des entreprises qui les produisent. Il faut aussi définir les responsabilités des fabricants et des gouvernements dans la protection des patients à long terme. Quelques questions vertigineuses : et si vous n’avez plus d’argent pour payer votre abonnement ou pour payer une mise à jour ? Quid des fuites de données ? D’une cyber-attaque ? D’une possible manipulation ? D’une intoxication des données de références de vos implants ? Devrons nous signer un contrat à vie, implant contre données ? Quelle place pour les Etats ? …
Prospective
Les neurotechnologies vont transformer radicalement la manière dont nous interagissons avec le monde et entre nous. Le développement continu des interfaces cerveau-machine rend envisageable que des interactions directes entre nos pensées et des dispositifs numériques deviennent courantes. Cela pourrait inclure des applications telles que la réalité augmentée directement intégrée à notre vision ou encore des systèmes d'apprentissage optimisés qui adapteraient automatiquement le contenu en fonction de notre état cognitif en temps réel. Il est facile aussi d’imaginer qu’ils puissent être temporaires de façon à avoir la capacité de réaliser des tâches complexes en fonction des besoins. Nous deviendrons un humanoïde principalement biologique. La créativité serait amplifiée par le traitement rapide de données avec pour conséquences de nouvelles perspectives pour la recherche scientifique, l'innovation technologique et la création artistique. Si on y va, pour que ce futur connecté soit bénéfique pour tous, il faut absolument anticiper les défis éthiques, de garantir l'équité d'accès et de protéger le droit à la vie privée des utilisateurs. Une gouvernance internationale est la seule solution mais nul doute que de nombreux “pirates” partout dans le monde s’augmenteront pour le meilleur ou le pire de l’humanité …
Dans tous les cas, il est préférable de prévenir que de tenter de guérir.
A suivre
Les déchets technologiques de l’IA
L'IA s'affirme comme un vecteur majeur de transformation systémique en offrant des potentialités dont les limites sont repoussées jour après jour … pour l’instant. La compétition acharnée entre les grandes entreprises technologiques, les laboratoires de recherche et les États, a généré une dynamique d'innovation visant à développer des algorithmes toujours plus sophistiqués. Cette transformation est très physique et elle génère son lot de déchets avec des impacts environnementaux et sociétaux.
Le défi des déchets technologiques associés à la course à l'IA est multidimensionnel dont l’énergie, le matériel et l’immatériel. Les centres de données, qui sont des structures essentielles au déploiement des systèmes d'IA, représentent une source très importante de production de chaleur et de consommation énergétique. En 2023, les émissions de CO₂ de Google ont augmenté de 13 % (14,3 millions de tonnes équivalent CO₂). Cette hausse est principalement due l'expansion de l'IA et à l'augmentation de la consommation électrique de ses centres de données. La fabrication des milliers de serveurs nécessaires aux calculs intensifs requiert également des quantités considérables de ressources naturelles dont des terres rares. Ces dernières ont des processus d’extraction peu respectueux de l’environnement et des personnes. Ces équipements génèrent une fois obsolètes des déchets électroniques qui excèdent déjà largement nos capacités de gestion et de traitement. Selon une étude parue dans Nature Computational Science, l'IA générative pourrait contribuer à la production de 5 millions de tonnes de déchets électroniques par an d'ici 2030 soit l'équivalent de 10 milliards d'iPhones jetés.
Les déchets issus de la course à l'IA ne se limitent pas à la dimension matérielle et énergétique. Ils se manifestent aussi sous la forme de résidus cognitifs et informationnels. La prolifération des informations, l'accumulation exponentielle de contenus générés automatiquement et les biais algorithmiques qui en résultent engendrent un véritable chaos informationnel. Cette pollution cognitive altère notre capacité à discerner la vérité de la désinformation. Elle compromet notre concentration et nuit à la préservation d'un espace mental cohérent. Il s'agit d'une forme de déchet intangible mais profondément réelle dont l'impact exponentiel dans le temps se fait ressentir à la fois au niveau individuel et collectif. Il est impératif que cette problématique soit abordée de manière sérieuse et systématique. L'enthousiasme pour les potentialités de l'IA ne devrait pas occulter les effets pervers, tant écologiques que sociétaux, qui en résultent. Si l'on souhaite que l'IA participe véritablement à l'amélioration de notre société, nous devons impérativement prendre en considération ses externalités négatives et mettre en œuvre des stratégies de mitigation.
Vers un futur durable ?
Imaginer un futur durable pour l'IA nécessite une approche prospective qui dépasse la simple innovation technologique pour répondre aux défis environnementaux et sociétaux engendrés par cette révolution. Des solutions concrètes doivent être mises en place comme l'adoption de nouvelles architectures de centres de données intégrant des systèmes de refroidissement écologiques. Concernant la réduction des déchets électroniques, la recherche devrait se concentrer sur le développement de serveurs modulaires. Ces derniers devraient être conçus pour être facilement mis à niveau plutôt que remplacés ce qui allongerait leur durée de vie. L'établissement d'une chaîne de recyclage permettrait de réutiliser des matériaux rares et de limiter les déchets. Cela nécessiterait également des politiques incitatives fortes qui encourageraient l'usage de technologies écoresponsables au sein de l'industrie.
Un autre axe de solution consiste à optimiser l'efficacité des algorithmes. Actuellement les modèles d'apprentissage automatique sont souvent surdimensionnés avec pour conséquence des ressources disproportionnées sans gains correspondants en performance. Investir dans la recherche pour affiner et rationaliser ces algorithmes permettrait de réduire considérablement les besoins énergétiques liés à leur entraînement tout en gardant des niveaux de performance élevés.
Du point de vue cognitif, il est impératif de promouvoir une éthique de l'information rigoureuse. Il convient de favoriser une utilisation plus consciente de l'IA, de limiter la prolifération de contenus automatisés inutiles et de développer des systèmes éducatifs adaptés afin de permettre aux citoyens de comprendre et de naviguer avec discernement dans cet environnement informationnel complexe. L'IA doit être utilisée pour simplifier la complexité informationnelle et améliorer la qualité de vie et non pour engendrer une opacité informationnelle préjudiciable.
Nous avons aussi une contribution au bout de nos doigts avec un usage raisonné de l’IA. Cela passe nécessairement par de l’éducation et de la connaissance des conséquences de nos actes. C’est très complexe mais obligatoire car nos usages peuvent faire les marchés de demain.
Notre responsabilité collective est d'assurer que l'IA dans sa progression inéluctable ne laisse pas derrière elle un héritage de dégradation matérielle, énergétique, et cognitive. L'ampleur de l'enjeu est indéniable mais nos capacités d'anticipation et d'action sont à la hauteur de ce défi à condition que nous les mobilisions avec discernement et détermination. Soyons acteurs !
IA et consommation énergétique
La révolution de l’IA s'accompagne d'une réalité énergétique préoccupante à savoir que la consommation d'électricité liée à l'IA continue de croître de manière exponentielle. Selon un rapport IDC publié en septembre 2024, la consommation électrique mondiale des centres de données devrait plus que doubler entre 2023 et 2028 essentiellement du fait de la charge accrue imposée par les systèmes d'IA. Les données parlent d’elles-mêmes. La capacité des centres de données pour l'IA devrait croître de 40,5 % par an jusqu'en 2027 et la consommation énergétique associée pourrait atteindre 146,2 TWh d'ici 2027. Pour donner une idée, cela équivaut à la consommation électrique annuelle de plusieurs pays. L'électricité représente aujourd'hui jusqu'à 60 % des coûts d'exploitation des centres de données de services. Une étude de Schneider Electric de 2024 indique également que les charges de travail de l'IA représentaient environ 8 % de la consommation totale des centres de données en 2023 et devrait atteindre jusqu'à 20 % d'ici 2028. Pour des applications à grande échelle comme un cluster de 22 500 GPU Nvidia H100, la consommation énergétique peut s'élever à 31 MW. En clair, l'évolution vers des modèles d'IA de plus en plus complexes et précis exerce une pression énorme et grandissante sur les infrastructures énergétiques mondiales.
Pour éviter un mécontentement général de la population face à une possible forte hausse des prix de l'énergie, les grandes entreprises technologiques cherchent à s'affranchir du marché traditionnel de l'énergie. Elles cherchent à produire leur propre électricité ou établissent des partenariats stratégiques souvent dans le domaine du nucléaire. Microsoft a par exemple conclu un accord avec Constellation Energy pour rouvrir la centrale nucléaire de Three Mile Island afin d'alimenter ses centres de données dédiés à l'IA. Google, quant à lui, explore l'utilisation de petits réacteurs nucléaires modulaires pour répondre à ses besoins énergétiques croissants. Ces initiatives ne sont que le reflet d’une tendance générale des géants de la tech à investir dans des solutions énergétiques autonomes et durables pour soutenir leur croissance rapide tout en réduisant leur empreinte carbone. L'accélération actuelle n'est pas seulement due à la croissance des besoins en IA. Elle est aussi liée à l'augmentation exponentielle de la puissance de calcul nécessaire pour entraîner les modèles les plus avancés dont la demande est multipliée par quatre à cinq chaque année. A titre d’exemple, le facteur multiplicatif est de sept pour Meta.
Maîtriser la consommation énergétique de l'IA n'est pas une option, mais une nécessité. Les solutions existent : des modèles optimisés, des infrastructures vertes, des usages mesurés, et des régulations appropriées. Seule une mobilisation collective nous permettra de tirer parti du potentiel de l'IA tout en préservant notre planète. Il est encore temps d'agir mais très vite car le train de l'IA avance à grande vitesse et nous devons nous assurer qu'il ne laisse pas notre environnement sur la voie de garage.
L’IA plus énergivore pour créer des images ?
D'après Nature, la consommation de CO2 en passant des heures à faire tourner un PC pour créer une image à la main est bien supérieure qu'en la générant en quelques secondes avec une IA … Et évidemment, cela dépend du mix énergétique de chaque pays.
Paris se rêve en capitale de l'IA positive
Paris s'apprête à redevenir en février 2025 le centre de l'attention mondiale en accueillant le Sommet pour l'Action sur l'Intelligence Artificielle. Cet événement se tiendra au Grand Palais les 10 et 11 février et réunira une centaine de chefs d'État ainsi que près de 600 dirigeants d'entreprises et d'ONG venus de tous les continents. On comptera des figures emblématiques de l’IA telles que Donald Trump, Elon Musk, ainsi que des représentants d'entités influentes comme OpenAI, Google, Meta, sans oublier des acteurs français tels que Mistral et LightOn. Premier constat, les acteurs sont essentiellement des Etats-Unis et tous favorable à une seule vision du développement de l’IA : c’est eux ou la Chine … Par ailleurs, à date, il n’y a pas de représentant de la Chine bien que le secteur de l’AI soit florissant et performant.
La journée du 10 février sera dédiée à des ateliers, des conférences et des démonstrations, suivie d'un dîner officiel à l'Élysée en présence des chefs d'État et des personnalités majeures. Le 11, des discussions entre dirigeants politiques auront lieu en parallèle d'un "business day" consacré aux acteurs économiques et institutionnels. En prélude au sommet, une "semaine de l'IA" aura lieu. Elles incluront des journées scientifiques les 6 et 7 février et des événements culturels durant le week-end des 8 et 9 février.
Contrairement aux sommets précédents comme ceux de Londres et de Séoul (focalisés principalement sur les risques potentiellement cataclysmiques de l'IA), Paris souhaite se positionner en tant que porte-étendard d'une approche optimiste et proactive. L'Élysée souligne que ce sommet s'attache non seulement à mettre en exergue les risques, mais aussi à souligner les opportunités considérables que l'IA peut apporter dans des domaines comme la santé, la lutte contre le changement climatique et l'amélioration de la productivité. En adoptant cette vision, Paris entend s'affirmer comme l'une des capitales mondiales de l'IA en mettant en avant les actions concrètes et des innovations porteuses de valeur. D'où la dénomination évocatrice de "Sommet pour l'Action". Emmanuel Macron, qui s'est personnellement investi dans les débats autour du règlement européen AI Act, a défendu une position favorable à l'innovation. Il prône une approche qui ne briderait pas le potentiel de l'IA. Cette orientation est en phase avec le rapport de la commission sur l'IA présidée par Anne Bouverot. Cette dernière est aujourd'hui l'envoyée spéciale du Président pour le sommet de février 2025. Il est important de rappeler que ce rapport est décrié du fait de la non représentativité des acteurs de l’IA lors des travaux, critique que je partage. Ce sommet sera aussi l'occasion de présenter les recommandations de l'Initiative des Champions de l'IA Européens qui vise à encourager l'émergence de leaders locaux dans le secteur. Mon avis est que l’excuse de la règlementation castratrice est l’arbre qui cache la forêt d’un déficit d’intégration économique européenne. C’est ce point qui interdit la création de champions européens car il représente un désavantage compétitif notoire au regard de la taille des marchés américains ou chinois.
La France souhaite se distinguer en adoptant une approche diplomatique qualifiée d'"inclusive". L'objectif est de démontrer que Paris peut être le lieu de rencontres multilatérales permettant une discussion approfondie sur la gouvernance de l'IA, sans clivage entre les régions du monde. Le sommet a pour ambition de "clarifier" les modalités de gouvernance mondiale de l'IA, thème également abordé dans les forums internationaux tels que les Nations unies, le G7, et l'OCDE. Quant aux initiatives portées par Donald Trump, reconnu pour son soutien à la dérégulation afin de préserver le leadership américain, l'Élysée espère trouver un terrain d'entente sur la promotion des "little tech" (les start-up et PME) comme un vecteur d'innovation face aux géants de la "big tech". L'un des axes centraux sera consacré à "l'IA au service de l'intérêt général". Elle prévoit de promouvoir par l'intermédiaire d'une fondation la création de communs technologiques et de solutions open source, accessibles librement, dans le but de contrecarrer la tendance aux systèmes fermés des grands groupes. C’est une belle initiative qui je le souhaite aboutira. Elle rencontrera quelques difficultés : montant des financements, choix des investissements, … Les meilleurs centres de recherche universitaires tirent déjà la sonnette d’alarme car ils sont totalement dépassés par la recherche des entreprises qui travaillent quoi qu’elles en disent d’abord pour elles. L’IA est pour l’instant un enjeu de domination économique et culturelle. J’avoues être sceptique sur la volonté américaine ou chinoise d’abandonner leur leadership. Par ailleurs, nous ne sommes pas capables de trouver des fonds pour lutter contre les conséquences du réchauffement climatique qui nous concerne tous, alors pour l’IA pour tous …
Afin de ne pas apparaître comme excessivement idéaliste au sujet d'une technologie controversée, le sommet mettra également l'accent sur la responsabilité environnementale et sociétale de l'IA. L'Élysée a exprimé sa préoccupation quant à l'impact énergétique croissant des modèles d'IA et compte lancer une coalition visant à standardiser les méthodes de mesure de la consommation énergétique et encourager des modèles plus écologiques, de taille réduite et plus efficients ce qui est une excellente initiative qu’il faudrait généraliser.
Dans le domaine culturel, le sommet présentera des œuvres créées à l'aide de l'IA et organisera des débats sur les questions relatives à l'avenir de la création artistique dont les questions de droit d'auteur et de rémunération des contenus qui ont été utilisés pour entraîner des IA. Les conclusions des travaux menés par Alexandra Bensamoun pour le ministère de la Culture seront présentées à cette occasion. Le sommet abordera également la question de la désinformation ainsi que celle de l'emploi avec pour objectif un consensus parmi les économistes sur les effets de l'IA en termes de gains ou de pertes d'emplois tout en mettant l'accent sur l'importance de la formation continue pour s'adapter à ces changements. Tout ceci est louable et utile mais ne résoudra rien. Nous continuons à raisonner dans une matrice économique et sociétale obsolète qui n’est pas tenable à terme. Nous avons une chance unique incroyable pour redéfinir notre futur, saisissons là !
Les mannequins IA
Avec des corps malléables répondant aux standards esthétiques contemporains, les mannequins générés par IA s'affichent aujourd'hui comme de sérieuses concurrentes des modèles humains. Ces entités virtuelles redéfinissent les dynamiques de l'industrie du mannequinat car elles sont adaptables à l'infini, dépourvues de contraintes physiques et financières. Le modèle humain est-il voué à l'obsolescence ?
Pour sa collection intitulée « Sunset Dream » adressée aux adolescentes, la marque de prêt-à-porter Mango a présenté un mannequin d'un nouveau genre à savoir une figure dépourvue de toute imperfection entièrement générée par une IA.
« On retrouve des critères de néoténie (La néoténie décrit en biologie du développement la conservation de caractéristiques juvéniles chez les adultes d'une espèce), avec des grands yeux, une bouche pulpeuse, un visage symétrique... Toutes les caractéristiques d'une féminité exacerbée avec une hybridation des traits », explique Sylvie Borau, chercheuse en philosophie de l'IA et du consommateur. Ces traits soigneusement calculés pour maximiser leur potentiel d'adhésion ciblent un public vulnérable : les adolescentes en phase de construction identitaire. L'enjeu est préoccupant car même si ces images sont manifestement artificielles (si on y prête attention), notre cerveau ne peut s'empêcher de s'y comparer et par conséquence cela alimente un cycle d'insatisfaction perpétuel. Ce phénomène de comparaison sociale exploité par le marketing accroît l'emprise de cette dynamique toxique.
Cette idéalisation synthétique se répand dans l'industrie à un rythme étonnant. Des marques comme Levi's, Stradivarius, et Vogue Singapore se sont déjà tournées vers ces mannequins virtuels. Elles ont été séduites par la promesse d'une efficacité accrue et d'une réduction des coûts. Le secteur du mannequinat est par essence précaire et ultra-compétitif Il est physiquement et mentalement exigeant et s’accompagne souvent d’une carrière dont la durée de vie est souvent brève. Les mannequins dépassent rarement la trentaine et doivent lutter pour maintenir une apparence conforme à des standards très spécifiques. Les mannequins qui gagnent des centaines de milliers d'euros ne représentent qu'une infime minorité. La réalité est toute autre pour une grande majorité avec des cachets modestes d’environ 500 euros par défilé et des frais souvent supérieurs aux revenus. En comparaison, les avatars dépourvus de toute contrainte physique apparaissent comme des alternatives idéales. Pas de frais de transport, pas de besoins de logement, et surtout pas de vieillissement. Les acteurs de ce marché redoutent que ces entités artificielles ne mettent non seulement en péril le mannequinat, mais également ceux des photographes, maquilleurs, et autres professionnels de la création. Ils dénoncent une déshumanisation de l'industrie qui conduit selon eux à une perte irrémédiable de la « magie » inhérente aux processus créatifs incarnés par des interactions humaines.
Certaines marques justifient leur recours aux mannequins IA par leur capacité à représenter une plus grande diversité, des modèles hyperréalistes, de toutes morphologies, âges, et origines. Les mannequins humains rétorquent que cette diversité est déjà présente dans le secteur à condition que les marques fassent l'effort de l'exploiter. L'inclusion ne semble pas être l'objectif principal ; il s'agit plutôt de réduire les coûts et de maximiser le contrôle des avatars qui ne négocient ni leur salaire ni leurs droits d'image. L'offre IA est particulièrement attrayante pour des secteurs comme le e-commerce. Le recours à des mannequins synthétiques pourrait rapidement devenir la norme dans cette partie de l'industrie.
Le monde de la mode dans ses sphères les plus élevées n'est cependant pas prêt à abdiquer face à l'IA. La haute couture, en particulier, qui fait de chaque défilé un acte artistique vivant, est fortement imprégnée de la « fétichisation » des mannequins humains. Ces figures qui incarnent des éléments culturels et esthétiques que les photographes et stylistes cherchent à magnifier restent pour l’instant des icônes irremplaçables. L'avancée effrénée de la technologie fait craindre que cette résistance ne soit qu'une question de temps. Meta a déjà lancé sa première « fashion week de l'IA » ce qui montre que pour eux l'utilisation d'outils génératifs est une évolution naturelle de l'industrie.
Certains acteurs préconisent de créer des avatars qui permettraient de réhabiliter l'humain dans sa diversité de célébrer une beauté imparfaite loin des algorithmes lisses et prévisibles. Au-delà de l'efficacité commerciale et de la compétitivité sectorielle, le dilemme demeure à savoir est ce que la mode choisira de célébrer l'humain ou de s'abandonner à la facilité de la synthèse ? Quelle que soit la réponse, une chose est sûre, c'est l'humain qui confère du sens à la beauté.
Bonnes métamorphoses et à la semaine prochaine.
Stéphane